Nabeul et sa mémoire juive

Publié le : 26-08-2022

Existait-il en Tunisie une ville où une Synagogue s’élevait en plein centre de la médina, à deux pas de la Grande Mosquée ? Où la communauté juive ne vivait pas dans un quartier spécifique, mais mélangée aux musulmans dans les mêmes rues de la vieille ville ? Où elle a représenté jusqu’à un quart de la population de la ville ? 

Cette ville a existé : c’était Nabeul jusqu’aux années 1960.
La ville principale de la région du Cap Bon est aujourd’hui une agglomération de 80 000 habitants.
Mais au milieu du 20ème siècle, c’était encore une bourgade de 12 000 habitants qui dépassait à peine les limites de la médina, entourée de hameaux agricoles. 
Selon certaines sources, elle comptait alors près de 3500 habitants juifs – soit plus d’un habitant sur quatre.
Si cette communauté a aujourd’hui quasiment disparu, les anciens Nabeuliens en gardent un souvenir vivant. 

Nabeul, ville des bons vivants

A Nabeul, on vous parle encore de Théodore – souvent prononcé “Tidor” à la tunisienne. Un véritable artiste de la brik à l’œuf, dont la petite échoppe faisait constamment le plein.
Il n’avait pas son pareil pour préparer une “assiette tunisienne”, salade variée agrémentée de légumes en saumure, harissa maison et œuf mollet à la cuisson parfaite.
D’autres évoqueront Khemaïs, du petit restaurant La Rotonde au bord de la plage – toujours en activité – haut lieu des soirées d’été bien arrosées et de la convivialité entre habitants de toutes confessions.


Car à l’image de toute la ville, les juifs de Nabeul n’étaient pas des orthodoxes puritains mais de bons vivants qui avaient le sens du partage. 
Plusieurs exerçaient dans les métiers de bouche, la restauration et l’hôtellerie : notamment à la direction de l’hôtel Nabeul-Plage (agrandi depuis), de son snack Pergola et du restaurant Petite Frégate, tous trois en front de mer.
Aujourd’hui encore, c’est un Nabeulien juif, Raymond Haddad, qui tient à Paris un des meilleurs restaurants tunisiens, La Boule Rouge. Une table très courue de la classe politique française…



On dit que c’est le climat de Nabeul, doux et sain, qui avait attiré nombre de ces familles depuis le 18ème siècle. On venait souvent de Djerba, de Tunis ou d’Algérie, pour un séjour de santé ou une visite familiale ; et on décidait de s’y installer.
Certaines familles avaient leur maison sur la rue principale de la médina – aujourd’hui souk de l’artisanat.
Tout autour, musulmans et juifs naissaient et vivaient côte à côte, dans les mêmes ruelles ou les mêmes impasses.
Une famille a occupé à Nabeul une place éminente : les Karila, originaires de Vienne en Autriche et d’ascendance espagnole. Ils ont créé de nombreuses institutions pour la communauté et pour la ville.
L’un d’entre eux a même été maire jusqu’à l’Indépendance.

Un musée des juifs de Nabeul

Aujourd’hui, des universitaires tunisiens s’intéressent à ce passé méconnu. A la Faculté des Lettres de Manouba, plusieurs travaux ont été consacrés récemment à l’ancienne communauté juive de Nabeul.
Dans la ville même, un petit espace d’exposition vient d’être créé pour perpétuer cette mémoire judéo-nabeulienne. Il est implanté dans un bâtiment resté à l’abandon pendant 40 ans : la Bibliothèque Gaston Karila.
Cette “bibliothèque” était en réalité une Yechiva, établissement d’enseignement de la Torah et du Talmud. Elle est située à seulement quelques dizaines de mètres de la Grande Mosquée.



Albert Chiche, actuel chef de la communauté, y a rassemblé des documents empreints de nostalgie. Notamment toute une galerie de portraits : minotier, électricien, pompiste, bijoutier, agriculteur, coiffeur, maître-nageur, commerçant, entrepreneur… 
Car tous les métiers étaient exercés par ces Nabeuliens juifs des années 1950-60. On trouve même parmi eux un importateur de bandes dessinées, et une hôtesse de la compagnie nationale Tunis Air… elle-même petite-fille de Théodore, le roi des briks. 
Et parmi leur progéniture, deux lauréats de prix littéraires en France et un célèbre humoriste : Elie Kakou, né à Nabeul !



Espace de la mémoire judéo-nabeulienne : impasse Karila, médina de Nabeul. Ouverture prochaine.


Guillemette Mansour


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