L’île de Djerba

Lutte contre un milieu ingrat, préservation de particularismes religieux et culturels, défense passive contre les agressions extérieures ont façonné un paysage humain remarquable qui fait de Djerba un territoire à part. C’est dans ce cadre que les habitants de Djerba ont inventé une architecture unique qui s’intègre intimement aux paysages de l’île. Coupoles immaculées, arcades épurées, minarets ingénus, patios bienveillants n’ont pas fini de séduire les visiteurs de Djerba…



Djerba, c’est cette île qui charme les visiteurs du monde entier par la douceur de son climat et la poésie de ses paysages. C’est aussi un patrimoine singulier, fruit de la rencontre entre un territoire, une histoire et un peuplement humain.

Le territoire : une île de 514 km2, aride et sans relief marqué, sablonneuse, toute proche du littoral sud-est de la Tunisie et baignée par les eaux poissonneuses du Golfe de Gabès. 

L’histoire, c’est celle des convoitises qu’a éveillées cette terre située au cœur de la Méditerranée. Ses envahisseurs ont rarement pénétré dans l’intérieur des terres, mais ont souvent pris pied sur son littoral. En témoignent le fort Borj Ghazi Mustapha, où les Espagnols ont été vaincus par le corsaire ottoman Dragut en 1560, ou des forteresses en ruine comme Borj Kastil et Borj Agrab, tous situés au bord de l’eau.


Une île-refuge

Quant à l’occupation humaine de l’île de Djerba, elle est marquée par la présence de populations issues de deux minorités religieuses : l’ibadisme, mouvement dissident de l’islam qui a enflammé le Maghreb au 8ème s. avant d’être réprimé, et le judaïsme, présent en Tunisie depuis l’Antiquité, et dont une importante communauté a existé à Djerba depuis au moins le 11ème s. comme en témoigne un document de la Géniza du Caire.

Une grande ville phénicienne existait à Djerba à l’époque de Carthage : la ville de Meninx, dont les ruines sont encore visibles au sud de l’île. Rien de tel au cours des siècles récents : jusqu’au début du 20ème s., Djerba ne comptait quasiment aucune agglomération. On peut citer la Hara, ville juive, et à proximité, Houmt-Souk qui, comme son nom l’indique (“le quartier du souk”), était exclusivement un lieu de commerce et d’activité artisanale. Les marchands étrangers y logeaient temporairement dans les fondouks, caravansérails d’un blanc immaculé.

L’essentiel de l’habitat était disséminé à travers la campagne. Le plus souvent, le Djerbien musulman vivait retranché dans son domaine agricole, le menzel. Sa grande maison familiale était bordée d’un jardin irrigué pour les arbres fruitiers et les cultures maraîchères. Plus loin se trouvaient les cultures en sec, notamment les oliveraies : à peine autosuffisante pour les autres denrées, Djerba a toujours produit d’importantes quantités d’huile.

Ce système, qui limitait les cultures irriguées à de petites surfaces proches des maisons, répondait à une forte contrainte du milieu naturel : la rareté de l’eau douce. L’excès de puisage rendait les nappes saumâtres, et l’eau de pluie, stockée dans de vastes citernes enterrées sous les cours des maisons, jouait un rôle essentiel.


Mosquées : une architecture à l'échelle de l'homme

Tout comme les maisons, les mosquées étaient pour la plupart éparpillées dans l’arrière-pays. Eloignées des habitations, elles rassemblaient à l’heure de la prière les habitants non pas d’un village, mais de toute une zone agricole qualifiée de “quartier” (houma). 

Maisons et mosquées rurales de Djerba se distinguent par leur architecture originale, à l’échelle de l’homme, par leurs formes robustes et épurées. Une architecture sans doute imprégnée des valeurs ibadites prônant la modestie et l’égalité des croyants.

Qui penserait aujourd’hui, à voir ces charmantes mosquées de campagne, qu’elles étaient pensées aussi comme un système de défense pour les périodes troublées ? Solides et presque dépourvues d’ouvertures, elles pouvaient servir de refuge en cas d’attaque.

A ces mosquées de l’intérieur s’ajoutaient deux lignes de défense contre les invasions. Des sanctuaires en bord de mer, portant le nom d’un saint, étaient dévolus à la surveillance de la côte. Un peu en retrait, une seconde ligne de mosquées fournissait des abris sûrs : certaines d’entre elles étaient de vraies petites forteresses avec meurtrières et mâchicoulis ; d’autres, construites sous terre, étaient invisibles de loin.


Synagogue : un sanctuaire en pleine campagne

Outre ces sanctuaires musulmans, il faut citer la grande synagogue de la Ghriba, dont la fondation mythique remonterait à la destruction du Temple de Salomon ; elle aussi isolée dans la campagne, non loin du village juif connu autrefois comme la « petite Hara » et portant aujourd’hui le nom d’Erriadh.

Les menzels étaient desservis par un réseau de pistes bordées de hauts talus, formant des itinéraires en arborescence à partir de chaque mosquée. Ce véritable labyrinthe de pistes aveugles et de culs-de-sac a égaré bien des envahisseurs, comme ces soldats espagnols qui auraient succombé en grand nombre à la soif en l’an 1510.



Centres d'intérêt :


Le fort Borj Ghazi Mustapha a été construit en 1425 par le sultan de Tunis, puis brièvement occupé par les Espagnols en 1560 avant d’être pris par le corsaire Dragut au terme d’un siège et d’une grande bataille navale hispano-turque. Il porte le nom du gouverneur installé ensuite à Djerba, devenue une base navale ottomane. L’édifice comporte une petite zaouïa (sanctuaire).



La mosquée Sidi Jemour est un des sanctuaires du littoral de Djerba qui perpétuent le souvenir de saints personnages chargés de surveiller la côte. Elle fait aujourd’hui l’objet d’un pèlerinage annuel. Comme la plupart des mosquées, elle est jouxtée par une grande esplanade servant d’impluvium sous laquelle une citerne enterrée recueille l’eau de pluie. 



La mosquée Moghzel, visible de loin, se dresse sur une petite hauteur face à la mer : elle était destinée à la surveillance de la côte. Ses hauts murs aveugles pouvaient résister aux attaques. Comme dans la plupart des mosquées, l’appel à la prière se faisait depuis un petit escalier jouxtant la porte d’entrée ; le minaret servait à donner l’alerte, par signaux lumineux ou par tambour. 



La mosquée Fadhloun, construite au 14ème siècle, est un édifice complexe qui fournissait différents services à la communauté : une école, des salles pour moudre et stocker le grain, un four à pain. Trapue, elle est renforcée par des contreforts. Elle est entourée d’une cour où deux espaces avec mihrab sont prévus pour la prière en cas de forte chaleur. en été, quand la salle est trop chaude



Le menzel, domaine agricole familial typique de Djerba, était centré sur une grande habitation à cour centrale et aux allures de forteresse, avec haut mur d’enceinte et tours d’angle – celles-ci abritaient en réalité des chambres d’été, mieux exposées à la fraîcheur nocturne. La famille y vivait quasiment en autarcie grâce à des cultures adaptées au climat.



La synagogue de la Ghriba est réputée très ancienne, bien que le bâtiment actuel soit récent. Sa fondation est entourée de nombreux récits légendaires. Il s’y tient un pèlerinage international qui perpétue des rituels ancestraux : la procession derrière une grande menorah évoquant un cortège de mariage, le rituel des œufs donnés en offrande…

© G. Mansour, “Tunisia, a universal héritage“ (Tunisie, patrimoine universel), Dad Editions, 2023

Pour en savoir plus :

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La mosquée Fadhloun à Djerba

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